Un apprenti gbaka sourd-muet. Ça existe sur la ligne Adjamé-Abobo en passant par le zoo, comme l’a constaté Acturoutes.
Les habitués de la ligne disent avoir découvert ce « débrouillard » d’une vingtaine d’années depuis quelques mois avec tous les désagréments que peut imaginer tout usager.
« Pour signaler votre point de descente, il faut s’adresser directement au chauffeur qui n’est pas toujours accessible », grogne une dame. Cette situation donne l’impression que cet apprenti, dont le rôle est de seconder le chauffeur en rabattant les clients et en encaissant les frais de voyage, est inutile.
Une autre difficulté se présente lorsqu’il faut payer le voyage. Comment expliquer à un sourd qu’il y a erreur sur la monnaie ? Comment négocier avec lui pour bénéficier d’une réduction ? Autant de questions qui mettent les voyageurs dans un gros embarras.
Vu la situation socioéconomique difficile, la quête d’une activité rémunératrice de revenus n’a plus de tabous. A Abidjan, le milieu des transports constitue le terreau où des expériences aussi extraordinaires qu’insolites foisonnent. N’a-t-on pas vu récemment une jeune fille apprenti gbaka, des chargeurs en tenue militaire ou unijambistes, ou même des chefs de gares totalement analphabètes ?
Pendant un voyage que nous avons effectué ensemble, en début de soirée, un homme d’une quarantaine d’années, assis à l’arrière du minicar restait tout circonspect. Il disait regretter d’avoir embarqué dans une telle aventure où il n’existe aucun recours en cas de contentieux.
Deux dames dans l’intention de débarquer non loin du camp d’Agban sont tombées dans ce siège d’un dialogue de sourd.
L’apprenti refusait la somme de 200 FCFA qu’elles lui tendaient pour le total de la course entre Abobo et Adjamé. Il exigeait, à l’analyse de ses gestes, beaucoup plus.
« Je ne comprends rien ! On lui avait pourtant bien indiqué qu’on a 200 FCFA pour payer le transport », se plaignait-elle bafouillant des signes pour se faire comprendre de son interlocuteur.
« J’ai beaucoup apprécié qu’un handicapé comme lui surmonte son complexe pour travailler au lieu de mendier. Mais là il va trop loin », fulminait l’autre en espérant que quelqu’un vienne lui servir d’interprète.
Elle trouvait pourtant, quelques minutes plus tôt, un avantage dans la situation d’un apprenti incapable d’articuler un mot. « Au moins il ne vous lancera pas d’injure », ironisait-elle.
Célestin KOUADIO