Anarchie sur les trottoirs : Pourquoi commerçants et transporteurs résistent
Nord-Sud
Posté le: 17 janvier 2012
Lors du bilan de ses activités, hier, la ministre de la Salubrité urbaine a, par un cri de cœur, décrié le manque d’engagement des maires pour assainir leurs communes. Conclusion, plusieurs sites déguerpis ont été recolonisés par les squatteurs d’espaces. Le constat n’est pas faux.
Un tour rapide sur le boulevard Nangui-Abrogoua, permet de comprendre que l’opération de déguerpissement sur ce tronçon ressemble à un fiasco. Il y a quelques semaines, plusieurs commerçants mal installés en avaient été chassés, des chauffeurs de gbaka étaient même sommés de ne plus garer sur la route. « Adjamé-Mosquée », comme on qualifie cet endroit, commençait à respirer. Hélas ! Aujourd’hui, tout cet effort est réduit à néant. Les petits commerçants, encore plus récalcitrants qu’avant, sont revenus avec leurs box, occuper de façon anarchique les trottoirs. Les chauffeurs de gbaka aux habitudes têtues, garent où bon leur semble. Même si quelquefois, ils doivent s’expliquer avec des Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) postées là pour veiller à un semblant d’ordre. Le message de propreté de la ministre de la Salubrité urbaine, Anne Ouloto, a du mal à passer ici. Commentaire d’Abdoul Diakité, un vendeur de Cd piratés sur le site: « on ne peut pas nous chasser sans nous donner un endroit où nous installer. Nous vivons de cette activité.» Mourlaye M. qui tient une petite librairie au bord de la route, pense la même chose. Il n’est pas normal, dit-il, que sous le mandat de son président préféré, Alassane Dramane Ouattara qu’il a si durement soutenu, il soit empêché d’exercer. Les Frci l’avaient déguerpi de force, mais il est revenu plus hardi. Ce type de raisonnement n’est pas rare à entendre aussi bien dans le milieu qu’au sein des transporteurs. Il y a quelques mois, des commerçantes que « maman bulldozer » (le surnom d’Anne Ouloto), avait déguerpies, n’avaient pas hésité à porter des tee-shirts avec des inscriptions : « Gbagbo ka fissa » (Gbagbo est mieux). Cela, pour signaler que pendant le mandat de l’ex-président de la République, le désordre était toléré, à leur grand bonheur. A Adjamé-Renault, de la gare Stif jusqu’à celle de Bingerville, les Frci ont beau taper dans le tas pour inculquer l’ordre aux chauffeurs, rien n’y fit. Le spectacle de Capharnaüm créé par les véhicules mal garés et les commerçants, continue de régner. Ali B., un chauffeur de Massa, est clair : soit on leur trouve une gare, soit ils la créent. Le carrefour de Koumassi, qu’Anne Ouloto surveille elle-même comme du lait sur le feu, a du mal à se dévêtir de son traditionnel désordre. Les commerçantes ambulantes déguerpies reviennent aussitôt que les autorités tournent le dos. Pourtant, comme s’évertue à le dire « maman bulldozer », c’est la façade d’Abidjan, pour tous ceux qui viennent de l’aéroport. Pourquoi cet acharnement à braver ses efforts ? Daouda Cissé, président du Réseau syndical des ouvriers et auxiliaires du transport terrestre, ne porte pas de gants pour indexer les fautifs: « les transporteurs et les commerçants déguerpis sur le boulevard Nangui-Abrogoua reviennent s’installer avec la complicité du maire. Tant qu’il n’y a pas une implication réelles de sa part, ça ne sera pas effectif.» Toutefois, le syndicaliste pense, comme beaucoup, qu’il faut d’abord trouver une gare avant de songer à déguerpir les chauffeurs. Il ne croit pas si bien dire car Yacouba Diakité, président du Collectif des fédérations des syndicats de Côte d’Ivoire, y voit même de l’injustice. « Nos frères qui disent que leur président qu’ils ont soutenu ne doit pas les déguerpir, ont souvent raison. On ne peut pas comprendre que pendant qu’on déguerpit des gens à Adjamé, à Yopougon Siporex, le désordre soit toléré», se plaint-il. C’est la raison, selon lui, qui amène certains à «politiser l’affaire». Même si dans le fond, il pense qu’ils ont tort. «Il est temps que nous songeons à organiser le secteur du transport en le sortant de l’informel. Et cela doit se faire par l’établissement de l’ordre ».
Par Raphaël Tanoh