Axe Abidjan-Odienné: le racket revient en force
L'Inter
Posté le: 01 juin 2012
Le racket sur les routes ivoiriennes revient en force. Plus rien ne se cache aux yeux des usagers. Samedi 19 mai 2012, nous embarquons à bord d’un car de transport en commun à la gare routière d’Abidjan, à Adjamé, pour Odienné.
Capitale de la région du Kabadougou située à environ 850 km de la capitale économique ivoirienne. Pour rallier ce trajet, il ne faut pas moins de 13H de route, qui constitue hélas 13h de maitrise des nerfs pour les usagers du transport en commun, agacés par le retour en force du racket sur des barrages dressés par des éléments des forces de l’ordre. Sur notre parcours, en effet, il n’y a pas un barrage où le mastodonte à bord duquel nous étions, est passé sans que les agents de sécurité n’aient perçu quelque chose.
A chaque corridor, l'apprenti du car descend, rejoint les agents de l’ordre assis et devisant tranquillement sous un hangar, pour leur déposer la rançon du jour. Comme s’il n’y avait que ça qui les conduit à ces endroits chaque jour. De notre siège, nous observons attentivement la scène. Est-ce cela la mission de ces soldats sur nos routes ? A quoi sert-il de les doter en tenue, armes et moyens mobiles si c’est juste pour que cela contribue à la montée du coup du transport des personnes et des biens, et donc de la vie chère ? La question nous trotte à l’esprit. L’idée suscite même un brin de révolte.
Et l’on n’a pas besoin de chercher pour lire la même nervosité, à chaque arrêt, sur les visages des autres passagers. Si à l'aller, le voyage s'est relativement bien déroulé, sans doute parce qu'on était dans un car, notre retour sera plutôt un véritable chemin de croix. Parti d'Odienné à 4h du matin dans un minicar de type ‘’Massa’’, nous abordons le corridor Sud de Touba à 7h30mn après 140 km de route. Ici, des passagers sont contraints de mettre la main à la poche parce qu'ils n'ont pu présenter les pièces qu'on leur demandait. Le gendarme qui effectue le contrôle de routine les fait descendre quelques minutes avant de les laisser partir.
Bien sûr, après avoir perçu ce qu’il leur exige. 1000 FCFA, c'est ce que les infortunés, en général des expatriés ont déboursé pour pouvoir continuer le voyage. 9H20mn, nous voici au corridor de Man, après près de 80 km de route. Éreintée par les kilomètres avalés en 5h, la plupart des passagers somnolant, se réveillent. La portière arrière du minicar s'ouvre brutalement. Le soleil matinal frappe les visages. Un sergent-chef de Police identifiable à son galon, surgit, les yeux barrés d'une paire de lunettes fine monture. « Contrôle de routine, les pièces s'il vous plaît », lance-t-il d'un air joyeux. Les passagers s'exécutent. Nous présentons nos cartes d'identité nationale.
En face de nous, trois expatriés dont l'un tenait un enfant, certainement son fils. Ils présentent respectivement une carte consulaire guinéenne, une carte nationale d'identité malienne et un certificat de résidence assorti d'un carnet de vaccination. Au premier qui lui présente sa carte consulaire, le policier demande son certificat de résidence. Au deuxième et dernier, il demande une carte consulaire. Bien évidemment, les trois passagers n'avaient pas les pièces demandées. « Si vous n'avez pas ces pièces, payez 1000 FCFA chacun », lâche l’agent à haute voix. Au passage, le policier offre un sachet d'eau au fils du passager dont il attend qu’il s’exécute.
Quand nos regards se croisent, il lâche tout de go : « tu vois, je suis gentil ». Après avoir perçu son dû (!), il descend du véhicule, satisfait. Quelque temps après, c'est au tour d'un élément de la brigade anti-drogue d'entrer en scène. N'ayant pu s'entendre avec l'apprenti sur la somme à payer, il débarque dans le véhicule et demande aux passagers de descendre avec leurs bagages pour des fouilles.
Les passagers maltraités...
«Que tout le monde descende avec ses bagages. Nous allons les fouiller», martèle l’homme en tenue, visiblement sur les nerfs. Exaspérés par cette attitude, des passagers tentent de comprendre cette attitude. Ils se rendent sous le hangar qui sert de poste de contrôle, à une vingtaine de mètres du véhicule arrêté, pour demander au chef du poste, un adjudant, s’il est permis dans l’exécution de leur tâche, de faire descendre des passagers, de les mettre en rang et de les fouiller comme de vulgaires bandits. « Là où vous êtes garé, on ne peut pas vous fouiller. Le chauffeur a mal garé et il nous faut vous amener ici », explique l’adjudant. « Dans ce cas, il aurait fallu demander au chauffeur de bien stationner le véhicule. Ce n'est pas à nous de descendre du véhicule parce que le chauffeur à mal garé », rétorquent les passagers désabusés. L’adjoint du chef de poste, qui suit la discussion prenant des allures d’empoignades verbales, renchérit : « On ne peut pas vous fouiller en public parce que certains peuvent être séropositifs et il faudra préserver leur dignité ». Autant d'explications qui ne convainquent pas les plaignants. « C'est parce qu'on ne vous a pas donné d'argent que vous faites ça !», lâche un passager, en colère. « Qui ne prend pas d'argent dans le cadre de ses fonctions ? Dites-le nous ? », rétorque un autre policier, très excité. Le ton monte.
Pendant que les esprits s’échauffent, le chauffeur négocie en corps-à-corps avec un autre agent. Ce dernier fait un signe de la main à ses collègues, et soudain l'atmosphère se détend comme par enchantement. Les policiers, conditionnés, présentent des excuses aux plaignants à qui ils conseillent de ne pas engager de polémique avec les forces de l'ordre. « Il faut éviter de vous mettre en colère contre les policiers », souffle l’un d’entre eux, tout sourire, qui demande au chauffeur de continuer son chemin. En quittant ce barrage, l’on comprend bien que le racket, combattu farouchement par les nouvelles autorités, reste une pratique à la peau dure sur les routes. Elle passe même pour être légalisée par les forces de l'ordre avec des méthodes bien ficelées. Ils demandent toujours une pièce qui manque, au passager. Généralement, un certificat de résidence datant de moins de 6 mois. Document impossible à obtenir pour un expatrié qui débarque fraichement en Côte d'Ivoire pour des affaires.
Il est alors rançonné tout le long de son voyage. 15mn après la pause mouvementée à l’entrée de Man, nous poursuivons notre chemin jusqu'à la sortie. Là encore, un corridor, et le véhicule est sifflé. Un gendarme monte à bord avec l'éternelle formule consacrée : « contrôle de routine, pièces d'identité s'il vous plaît ». Cette fois, pour limiter les abus, nous présentons notre carte de presse. Le gendarme tique et continue son travail. Il ne s'attendait sans doute pas à un journaliste dans la voiture. Un passager en face de nous présente sa carte consulaire. « Certificat de résidence ? », demande-t-il. Las d'être racketté, le passager répond : « je n'en ai pas ! ». « Dans ce cas, tu vas descendre, on va t'établir un certificat de résidence ici », réplique le gendarme.
Jouer au militaire pour ‘’sauver’’ le chauffeur...
De plus en plus exaspéré par l'attitude de l'élément de l’ordre, des passagers demandent au concerné de descendre du véhicule pour se faire établir le papier. Le gendarme, qui ne s'attendait pas à cette réaction, est embarrassé. Pour déjouer le piège, il demande au passager de descendre avec ses bagages afin qu'ensemble, ils aillent en ville, au commissariat, pour lui établir un certificat de résidence. Devenus solidaires de l’infortuné voyageur, des passagers descendent également du véhicule pour plaider le cas de celui-ci. Le gendarme fait semblant de tancer sa victime et lui recommande de partir.
Entre-temps, un policier de la brigade anti-drogue, qui s'approche du véhicule, réclame de l'argent au chauffeur. Celui-ci lui fait comprendre que depuis son départ d'Odienné, il ne fait que dépenser et qu'il n'a plus rien. L'agent refuse d'entendre raison. Pour débloquer la situation, nous jouons au militaire pour amadouer l'agent de la police anti-drogue. « Mono, laisse ça, on est pressé et on doit vite rentrer », lui lançons-nous dans le jargon bien connu du milieu, avec une poignée de main. Désarçonné par cette attitude, le policier abdique : « C'est à cause de mon collègue que je vous laisse, mais au prochain voyage, tu donneras pour moi ». Sans doute nous prenait-il pour un des leurs, vu le langage que nous avons adopté et notre corpulence. Curieux, il ne prend même pas la peine de savoir qui nous sommes réellement. Quelle légèreté, pensons-nous! Le jeudi 22 mai 2012, nous faisons le même chemin. Cette fois, le chauffeur du véhicule que nous empruntons, bien au fait du racket aux corridors, demande aux passagers dont les pièces ne sont pas au complet, de se cotiser pour éviter les nombreux arrêts sur le trajet.
Tous les concernés, comme s’ils s’étaient concertés à l’avance, s’exécutent aussitôt. Sur le parcours, l’on aperçoit le convoyeur du véhicule, qui descend à chaque barrage, fait un tour sous les hangars de fortune, et réembarque à bord du minicar qui reprend sa route. Touba, Man, Bangolo, Duékoué, Issia, Gagnoa, Divo, Tiassalé, tous les agents en ces endroits ont eu droit à leur part de gâteau.
Nulle part, l’on a perdu du temps à l’un de leurs barrages. « C'est la méthode efficace. Comme ça, on n’est pas emmerdé », indique avec un sourire en coin le convoyeur. « C'est toujours comme ça. Ouattara est assis à Abidjan avec ses ministres et ils pensent qu’ils peuvent changer quelque chose. En tout cas depuis qu'il est arrivé, on a l'impression que le racket a pris du volume », ironise-t-il. Des propos qui doivent interpeller le ministre de l'Intérieur et son homologue du Transport.
Y.DOUMBIA (Envoyé spécial à Odienné)