«Et dire qu'il y a peu, on roulait en scooter...»
Le Monde.fr
Posté le: 07 mai 2012
L'histoire retiendra que les premiers mots publics du président Hollande se sont conclus par un air d'accordéon. Celui de La Vie en rose, d'Edith Piaf.
Quelques instants auparavant, celui qui n'était déjà plus le candidat socialiste à la présidentielle venait d'inviter sa compagne, Valérie Trierweiler, à le rejoindre à la tribune dressée sur la place de la cathédrale de Tulle, concluant un propos des plus solennels par un instant fugace et inattendu d'émotion.
Un bouquet de roses rouges, un baiser furtif, un léger pas de danse. Puis François Hollande ne peut s'empêcher de retourner au micro : "Merci la Corrèze, merci. Au revoir et à bientôt. Nous ne nous séparerons jamais. Je reviendrai. Merci à tous. Et que la vie est belle ce soir", lâche-t-il enfin, avant de conclure: "Qui aurait imaginé qu'un jour... Oui, je l'avais imaginé!"
Le président élu descend de la tribune, se joue des policiers du Service de protection des hautes personnalités (SPHP), se jette dans le public pour un nouveau bain de foule. Comme si de rien n'était. Comme s'il fallait toujours faire campagne et reculer l'heure d'emprunter ce Falcon900 qui doit l'emporter vers le Bourget, la Bastille, l'Elysée.
LA PLUS LONGUE DE TOUTE SA CARRIÈRE
De président du conseil général de Corrèze à chef de l'Etat, il n'y eut qu'une journée. La plus longue de toute la carrière politique de François Hollande. Elle avait commencé peu après 10 heures au bureau de vote numéro 9, salle Marie-Laurent à Tulle, où la foule attendait son candidat de pied ferme, ainsi qu'un paquet de photographes campant là depuis l'aube.
Avec pas moins de 367 journalistes et des techniciens par dizaines, le chef-lieu de la Corrèze n'aura jamais été aussi couru... "385. Monsieur Hollande François." Après un petit déjeuner en tête-à-tête avec Valérie Trierweiler à sa permanence, le candidat socialiste, l'air tendu, sort de l'isoloir dont le périmètre a été sécurisé par un officier du SPHP.
Entre la montée en pression et les SMS envoyant les résultats des DOM, la nuit n'a pas été des plus calmes. Après s'être prêté à la traditionnelle séance photo sous la mitraille des flashs, il s'acquitte de son devoir électoral. "A voté", indique l'assesseur, et le candidat votant se rassure : "Même s'il y avait des catastrophes, ce serait favorable ici. Et j'en ai connu des catastrophes..."
"CE MOMENT VA BOULEVERSER NOTRE VIE..."
Evoluer à domicile, en ce dimanche 6 mai, constitue un excellent tranquillisant politique. Pas question de sacrifier sa rituelle tournée des bureaux de vote, "du plus favorable au moins favorable", glisse un de ses collaborateurs. Elle démarre à l'école Joliot-Curie, "le bureau le plus à gauche. Ici, huit personnes sur dix votent pour moi."
Le président du conseil général chercherait-il à se donner du courage ? "On peut pas ne pas être inquiet un jour comme celui-là. C'est quand même un jour extraordinaire, le jour qu'il attend depuis au moins trente ans, lâche Valérie Trierweiler. C'est quand même un moment qui va bouleverser notre vie..." Bureau suivant, celui de Latreille.
Une dame, mélancolique, lui demande, une "dernière photo". "Ils ont tort. Ils me reverront, je reviendrai", promet M. Hollande, qui devait faire ses adieux le 11 ou le 12 mai au conseil général. La suite des opérations corréziennes est bien sûr déjà calée. Le premier vice-président du conseil général, Gérard Bonnet, tient la corde pour prendre la tête de l'exécutif départemental, la conseillère générale Sophie Dessus pour sa circonscription.
RETOUR SUR QUELQUES ÉPISODES DE CAMPAGNE
Il est 14h10 quand François Hollande s'attable au premier étage du Central, honorable établissement en son temps fréquenté par Jacques Chirac et devenu depuis des années la cantine de l'ex-maire de Tulle.
Autour de la longue table, Valérie Trierweiler, son équipe locale et son staff de campagne, ainsi que l'écrivain Laurent Binet, le réalisateur Djamel Bensalah, le photographe Stéphane Ruet et le dessinateur Mathieu Sapin.
Au menu de cette Cène socialiste, terrine de canard, filet de bœuf Périgueux avec pommes sautées puis fraisier. Et un retour sur quelques épisodes de la campagne : ses adieux aux Tullistes : "Ils étaient tristes, mais c'était une tristesse heureuse", dit-il. La dernière journée de campagne, vendredi en Moselle. Le débat contre Nicolas Sarkozy et sa désormais célèbre "anaphore non préméditée", jure le candidat.
A l'heure du café, François Hollande donne le "feu vert" à Aquilino Morelle pour "travailler sur une hypothèse favorable" en vue de sa déclaration du soir.
BUREAU "BUNKERISÉ"
Mais ce n'est qu'à 18h32 que François Hollande, isolé dans son bureau "bunkerisé" du conseil général avec Mme Trierweiler, par un appel de son conseiller Olivier Faure, reçoit la confirmation de sa victoire : un sondage Harris Interactive le donnant vainqueur entre 52 et 53% des suffrages.
Réponse laconique du nouveau président : "C'est bien..." A 19 h 50, élus, collaborateurs et membres du staff prennent place dans son bureau. Et assistent, fébriles, à l'annonce des résultats. "Voilà, les amis", conclut François Hollande. Bernard Combes, maire de Tulle, est en larmes.
Peu après 20 heures, le président entrant reçoit un coup de fil du "candidat sortant", qui lui adresse ses "félicitations" et insiste sur "la dureté et la difficulté de la charge"...
COHUE INDESCRIPTIBLE PLACE DE LA BASTILLE
Une heure plus tard, les hélicoptères des chaînes d'info, malgré l'interdiction de la préfecture, tournent dans le ciel de Tulle pour filmer le convoi en route de l'hôtel Marbot vers la place de la Cathédrale, puis jusqu'à l'aéroport de Brive, d'où le président et son équipe s'envolent en jet privé.
Il est 0h22. Dans le chapiteau des VIP situé derrière la scène, place de la Bastille, la musique est assourdissante. Axel Bauer est en train de chanter son célèbre "Eteins la lumière, montre moi ton côté sombre...", quand les "il est là" se répandent. La cohue est indescriptible. François Hollande serre quelques mains, tout sourire ; Valérie Trierweiler le suit, le regard un peu perdu. Lionel Jospin est là. Les deux hommes s'embrassent.
Puis le président élu se dirige vers la scène, entouré d'une nuée d'officiers de sécurité. La musique continue de plus belle, la lumière se tamise, Arnaud Montebourg entame une danse endiablée, Guy Bedos se joint à lui. Cela dure quelques minutes, jusqu'à ce que les "chuts" fassent comprendre que François Hollande s'apprête à prendre la parole.
La salle se vide alors des principales figures du PS, qui se précipitent pour monter sur scène à ses côtés. Une femme remarque que Laurent Fabius est resté planté seul devant un écran. "Vous ne voulez pas venir ?", ose-t-elle. Un petit geste de la main lui fait comprendre que non.
"IL EST LE PRÉSIDENT. IL VA FALLOIR S'Y FAIRE"
Vingt minutes plus tard, François Hollande est de retour sous le chapiteau. Autour de lui, tant de monde se presse que la cloison derrière laquelle Yannick Noah fait quelques pas de danse se met à craquer.
Thomas Hollande est là, on le bouscule, on le photographie. On lui demande ce qu'il ressent. "C'est super bizarre, je ne sais pas trop", dit le fils aîné du nouveau président. A-t-il parlé à son père ? "Oui, un peu avant 20 heures, je lui ait dit : 'Félicitations'." Etait-il ému ? "Il ne m'a pas donné cette impression. C'est mon père, il est comme ça..." 1h43. L'heure pour François Hollande de partir.
François Hollande sur son scooter, en mai 2011.
A l'angle du boulevard Richard-Lenoir et de la place de la Bastille, son vieux compagnon Stéphane Le Foll le regarde monter dans sa voiture. Il a le regard un peu triste. On lui demande pourquoi. Il montre le cortège, se met à compter les motards de la République qui l'entourent.
"Et dire qu'il y a quelques mois on roulait encore en scooter...
- Il vous échappe, c'est ça ?
- On peut dire ça comme ça. Mais c'est pour ça qu'on s'est battu. Maintenant il est le président. Il va falloir s'y faire."