Insécurité / Les coupeurs de route font la loi sur l’autoroute du Nord
L'intelligent d'Abidjan
Posté le: 12 mars 2012
Au cœur de la galère des transporteurs et des voyageurs
Tous les véhicules en partance d’Abidjan sont désormais contraints à partir de 23 heures de passer la nuit à Singrobo pour les uns et à Elibou pour les autres. Objectif : éviter de tomber dans le filet des coupeurs de route qui opèrent sur l’autoroute du Nord. De retour d’une mission à Issia, nous avons vécu et partagé l’enfer des voyageurs et des transporteurs. Carnet de route…
Incroyable mais vrai. Impossible d’entrer à Abidjan par l’autoroute du Nord au-delà de 22 heures. Si l’usager de la route ne veut pas voir son véhicule mitraillé par de dangereux malfrats avant d’être par la suite dépouillé de tous ses biens, il faut attendre le jour à Singrobo. C’est la loi que les coupeurs de route imposent aux voyageurs et aux transporteurs. Nous avons vécu cet ‘’enfer’’ dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 mars 2012. Suite à une panne du véhicule ramenant à Abidjan les journalistes ayant couvert la célébration de la journée internationale de la femme à Issia, sous le coup de 18 heures à Yamoussoukro et après des heures d’attente infructueuse de réparation, nous embarquons finalement à 22h 30 dans un mini-car Massa à destination d’Abidjan. Mais, nous ne pourrons pas poursuivre le voyage pour rallier la capitale économique ivoirienne. A notre arrivée à Singrobo, l’horloge affiche minuit 47 mn. Nous y trouvons une quarantaine de véhicules avec des personnels des cars et mini-cars de transport en passant par les gros poids de transport du frêt des pays de l’hinterland. La hantise des coupeurs de route à l’esprit, personne n’ose prendre le chemin. Hors des véhicules et par petits groupes, le sujet alimente toutes les conversations. Chacun relate avec émotion, sa propre expérience ou celle de proches victimes de ceux qui opèrent sur l’autoroute du Nord et dictent leur loi aux usagers de la route. Et tous s’accordent sur cette conviction : à cette heure avancée de la nuit, la prudence commande d’attendre le jour à Singrobo. Pas question de jouer au brave. «C’est au niveau du carrefour N’Douci que j’ai été victime et témoin d’une opération des coupeurs de route. Ils ont érigé des barrages à deux niveaux. Quand le chauffeur a réussi à faire sauter le premier verrou, au second, un des braqueurs puissamment armé, a ouvert le feu, en direction du chauffeur, qui a été touché et contraint d’immobiliser le véhicule dont ils ont pris possession. Ils nous ont tous fait descendre avant de nous faire coucher sur le ventre sur le goudron. Après nous avoir dépouillés de tous nos biens, ils ont donné l’ordre à l’apprenti de violer la copine de son patron qui est le chauffeur. Ce dernier qui s’est exécuté sous la menace de l’arme à feu, a été, après les faits, viré», a témoigné S. Sinaly, un apprenti. Si l’on en croit une autre victime, l’opérateur économique de la place, ou le passager possédant sur lui une forte somme d’argent ou n’ayant rien d’important sur lui, court le risque d’être abattu. Ces propos ont été confirmés par un autre apprenti-chauffeur qui a confié qu’il réclame toujours à son patron sa prime de voyage pour éviter d’avoir à se retrouver les poches vides face aux coupeurs de route. Et payer au prix de sa vie leur courroux. «Il n’y a rien de plus énervant pour les coupeurs de route que d’avoir affaire à une victime qui n’a rien sur lui. Toutes les victimes ne résistent pas aux bastonnades qui s’ensuivent. Souvent même, ils n’hésitent pas à tirer à bout portant sur la victime qui n’a rien sur elle. Pour éviter leur courroux qui peut vous causer la mort, j’exige toujours mon quota que je mets sur moi. On ne sait jamais quand ils peuvent surgir et vous attaquer», a-t-il expliqué. De son côté, une commerçante a vivement félicité le chauffeur de son véhicule pour avoir marqué l’arrêt à Singrobo pendant qu’un autre passager, pressé de rentrer à Abidjan, y voyait la marque de la couardise. Pour cette habituée des voyages de nuit, il y a sur l’axe trois théâtres d’opération. Il s’agit du kilomètre 101, du carrefour N’douci et celui de Bodo. A l’en croire, chaque fois qu’elle est sur l’axe et que ces sites ne sont pas derrière elle, son esprit est constamment à la prière. Et quand l’angoisse n’arrive pas à tomber, elle souhaite vivement que le chauffeur ne poursuive pas le voyage dans la nuit.
KM 101, carrefour N’Douci et Bodo, les axes de la frayeur et de la terreur
«Si un chauffeur emprunte cette voie avec les passagers, c’est qu’il est complice des coupeurs de route. Sinon tout le monde est conscient qu’au-delà de 23 heures, il question de prendre l’autoroute. C’est un peu fou de prendre la route à ce moment. Moi, j’ai une fois échappé à la mort et aux coupeurs de route. La scène s’est produite au niveau du Km 101. Arrivé à ce niveau, où un tronc d’arbre barrait la voie, le chauffeur a foncé dans le barrage. Une fois qu’il s’est frayé un chemin pour passer, à moins de quatre mètres de là , un véhicule avec à bord des braqueurs qui tiraient en notre direction, est sorti pour nous poursuivre jusqu’au corridor d’Elibou. Où ils ont fait fuir les forces de l’ordre. Avant de rebrousser chemin. C’était une véritable chasse à l’homme que j’ai du mal à oublier. Je n’aime plus voyager les nuits. Mais comme je suis une commerçante, je n’ai pas le choix. Je dois vous dire que c’est extrêmement stressant», a-t-elle déclaré.
Non intéressées, les FRCI désertent à Elibou
Dans ce décor de stress et d’angoisse pour les uns et les autres, un véhicule militaire double cabine surmonté d’une mitraillette lourde, immatriculé 02123 avec à son bord neuf (9) FRCI puissamment armées de lance-roquettes et de kalachnikov, arrive sur le site. Et suscite à la fois curiosité et polémique. Une concertation est tout de suite tenue avec la quarantaine de chauffeurs à qui les FRCI demandent des « prix de thé » pour sécuriser les véhicules jusqu’à Abidjan. Une requête désapprouvée par la plupart des chauffeurs qui y voient un racket déguisé. «Nous sommes réticents parce qu’ils ne vont pas continuer la sécurisation jusqu’à Abidjan. Ils vont nous abandonner en cours de route», estime un des chauffeurs qui préfère attendre le jour à Singrobo. Comme tous les autres restés sur place, les faits vont lui donner raison. Car les dix-sept véhicules sur la quarantaine qui ont pris la route ont été effectivement lâchés à quelques mètres du corridor d’Elibou où nous sommes arrivés à 3 heures du matin le vendredi 9 mars 2012. Non intéressées, les FRCI ont déserté en simulant une panne de leur véhicule. «C’est de la simulation et cela ne nous étonne pas. C’est parce que nous avons refusé de céder à leur chantage qu’ils ont agi ainsi», a indiqué Moussa Kéita, chauffeur. Contraints de marquer à nouveau l’arrêt à ce corridor, c’est finalement à 5h que nous reprenons la route pour regagner Abidjan une heure plus tard. Soit 6 h du matin. Ainsi l’aura voulu le ‘’Dieu des coupeurs de route’’ qui a pris le pouvoir sur l’autoroute du Nord. Faisant vivre aux voyageurs et aux transporteurs un véritable enfer que dénonce Adama Touré, président de la Cngr-ci. Joint au téléphone, le leader syndical des transporteurs et des chauffeurs a appelé au respect du droit de circuler violé par des malfaiteurs qui sévissent sur l’autoroute du Nord.
M Tié Traoré, Envoyé spécial