Mercedes avait pourtant anticipé, demandé et obtenu une dérogation de l'organisme régulateur en Allemagne (KBA) pour distribuer ses nouveaux modèles avec l'ancien gaz. Cette homologation nationale vaut pour l'Union européenne, et le tribunal administratif de Versailles, saisi par le constructeur allemand fin juillet, a en toute logique donné raison à Mercedes et levé le blocage des immatriculations.
Principe de précaution
Le ministère de l'Écologie français a immédiatement répliqué en faisant jouer une clause assimilable au fameux "principe de précaution", qui autorise un État membre de l'UE à ne pas immatriculer des véhicules pendant six mois maximum si ces derniers représentent un danger pour la santé, l'environnement ou la sécurité routière. Joint par Le Point, le ministre de l'Écologie s'est refusé alors à tout commentaire, préférant se consacrer à ses vacances. Pas d'informations non plus dans les autres ministères qui pourraient démêler cet écheveau mais restent prudemment muets. C'est donc au Conseil d'État que reviendra la tâche de clarifier la situation sur fond de dossier éminemment technique. Son ordonnance ne devrait pas être connue avant la semaine prochaine.
Les concessionnaires ne sont pas très heureux au moment précis où, avec la nouvelle Classe A, ils avaient une arme pour attaquer les constructeurs français. Coincidence ?
Mais, à coup sûr, Mercedes n'est pas sorti d'affaire, une situation qui menace ses immatriculations, en retrait de 6,8 % en juillet. Le président du groupement des concessionnaires Daimler, Jean-Claude Bernard, qui a alerté le ministère de l'Écologie dans un courrier resté à ce jour sans réponse, assure que 1 600 emplois dans son réseau, sur un total de 11 000, seraient menacés si la situation perdurait.
Le souci est que le dossier est surtout politique, comme nous l'avions déjà évoqué précédemment (voir notre article). Stefan Bratzel, spécialiste allemand du secteur automobile cité par l'AFP, rejoint notre analyse. Pour lui, il faut voir dans le gel des immatriculations en France une "réponse politique" adressée à Berlin, qui fait tout son possible pour torpiller le projet de réduire les émissions de CO2 des voitures à 95g/km en 2020, défavorable aux grosses cylindrées des constructeurs allemands.
Match Nord-Sud
"Cela ressemble à une riposte de la France. Paris est un petit peu fâché que l'Allemagne ait mis un frein au thème du CO2 pour protéger l'industrie automobile allemande", analyse M. Bratzel. En réalité, alors que l'objectif du 95 g de CO2 était acquis, la chancelière allemande Angela Merkel, en campagne pour un troisième mandat, a réussi dans la nuit à Bruxelles à faire reculer le projet et à reporter le vote. À charge pour elle et les constructeurs allemands de former dans l'intervalle un front du Nord contre le front du Sud, lequel prône une réduction drastique des émissions pour tous les constructeurs.
Or, les Allemands, majoritairement producteurs de grosses voitures, sont moins bien placés pour atteindre ce résultat plus facilement accessible aux voitures légères, donc petites. La France et l'Italie y voient un avantage concurrentiel et ne veulent pas lâcher sur cette règle absolue du 95 g de CO2 appliquée indistinctement à tous dès 2020. Les Allemands argumentent autrement et veulent un effort proportionnel de réduction des émissions. Partant de plus haut que les autres, ils veulent donc un effort de réduction relatif et non absolu, qui mettrait à égalité dans les progrès à réaliser les constructeurs de petites et de grosses voitures. La France ne l'entend pas de cette oreille et s'est ménagé un fer au feu avec l'affaire Mercedes, qui, tôt ou tard, entrera dans un arbitrage stratégique avec l'Allemagne.
À la demande d'une explication sur l'homologation des Mercedes avec l'ancien gaz par le KBA, Bruxelles s'est attiré une réponse lapidaire la semaine dernière de Berlin. "La démarche de Daimler est conforme au droit", a indiqué un porte-parole du ministère des Transports allemand, à peine plus prolixe que Paris qui se refuse à tout commentaire. On comprend désormais pourquoi et cela laisse sceptique, quelle que soit la décision du Conseil d'État, sur les suites du bras de fer engagé par la France et l'Allemagne.
Par Jacques Chevalier