L'industrie automobile française victime d'un triple piège
Le Monde.fr
Posté le: 25 juillet 2012
L'industrie automobile française va vivre, mercredi 25 juillet, un de ces moments-clés dont elle a le secret. Philippe Varin, le président du directoire de PSA, présentera ses résultats semestriels et le détail de son plan de restructuration aux représentants du personnel. Dans le même temps, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, dévoilera un nouveau plan d'aide à la filière automobile, qui devrait prendre la forme d'une subvention aux véhicules les plus écologiques.
Un constructeur en difficulté qui annonce des plans sociaux, un Etat qui fronce les sourcils et sort in fine son plan d'aide : cette dramaturgie est bien rodée. En 1983, le ministre de l'économie de l'époque, Jacques Delors, fustigeait déjà la gestion du même PSA en pleine crise, qui venait d'annoncer 7 300 suppressions d'emploi.
Depuis, de "balladurettes" en plan Juppé, de "sarkozettes" en bonus-malus, l'Etat passe son temps, à intervalles réguliers, à soutenir cette filière qui emploie encore plus de 400 000 personnes en France mais qui n'arrive jamais à sortir durablement de ses difficultés. Elle est victime d'un triple piège qui semble la condamner à la précarité financière et au déclin. Pièges du marché, de l'offre et de la taille.
LE MARCHÉ Au 1er janvier 2012, le parc automobile français comptait 38 millions de véhicules. Depuis dix ans, ce nombre n'a progressé en moyenne que de 1 % par an. Cela signifie que la France, comme tous ses voisins européens, est saturée d'automobiles. Les diverses primes gouvernementales ne font donc qu'anticiper les comportements d'achat, préparant ainsi la prochaine crise.
Le marché est cyclique, comme le sont les résultats des constructeurs qui y sont implantés. En 2006, PSA réalisait encore 68 % de ses ventes et la quasi-totalité de ses profits en Europe, surtout dans les pays du Sud. Pour échapper à ce piège mortel, qui s'est refermé aujourd'hui avec la crise, il faut trouver de nouvelles poches de croissance. Elles sont en Amérique latine, en Russie et surtout en Chine, premier marché du monde, qui devrait doubler en dix ans et représentera deux fois le marché européen.
A partir de 2009, PSA a accéléré en ouvrant de nouvelles usines, notamment en Chine. En 2011, les ventes hors Europe ont dépassé 40 % avec l'objectif de 50 % pour 2015. Un effort tardif et de long terme. Par le passé, chaque crise successive (une par décennie) s'est traduite par un repli sur l'Europe, un retour dans le piège.
Renault, lui, a mis à profit les véhicules à petit prix de sa filiale Dacia pour conquérir l'Amérique latine, l'Europe centrale, la Turquie, le Maghreb, laissant Renault seule dans la nasse européenne.
L'OFFRE Prisonnière de l'Europe, l'industrie automobile française s'est laissée enfermer progressivement dans le segment des voitures petites et moyennes. Renault, avec ses Clio et Mégane, PSA avec ses 207, 309, C3 et C4. Des véhicules à marge plus faible, dont une partie a été délocalisée en Europe centrale et en Turquie.
Or ce segment est attaqué par de nouveaux concurrents (Hyundai) et est sensible aux guerres des prix. Et pour bien fermer la cage, le gouvernement s'est ingénié à spécialiser les Français dans ces petites "voitures populaires".
Imaginée après guerre pour renflouer les caisses de l'Etat, la vignette visait implicitement les grosses berlines allemandes. Même chose pour les primes à la casse diverses et variées qui ont coûté plus de 2 milliards d'euros à l'Etat et tiré vers le bas de gamme le parc automobile. La stratégie de PSA vise à accroître la valeur de chaque véhicule et donc son prix d'achat, de revente et sa marge bénéficiaire. Sa timide incursion dans le haut de gamme, avec la marque DS, va dans le même sens. Mais il s'agit de politiques de long terme, sur vingt ans, comme celle conduite par Volkswagen dont le "mixte" haut de gamme est bien plus élevé.
LA TAILLE Le piège de la taille est la conséquence des deux autres. Il y a trois ans, Sergio Marchionne, le PDG de Fiat, a postulé que les constructeurs généralistes qui survivront à la décennie actuelle devront produire plus de 6 millions de voitures par an. PSA est à 3,4 millions et Renault (avec Dacia) à moins de 3 millions.
Pourquoi ces chiffres ? Parce que le nombre de véhicules, même différents, garantit des économies sur les achats de composants et leur standardisation qui représentent les trois quarts du coût de fabrication d'une voiture.
Démarrée en 2005, la politique de modules de Volkswagen a cinq ans d'avance sur celle des Français. Elle lui fera économiser 20 % sur ses coûts et 30 % sur les heures d'ingénieur. Cela représente plusieurs points de marge qui expliquent l'envolée des bénéfices de l'allemand, réinvestis dans la recherche, l'outil de production et l'élargissement de la gamme.
Un cercle vertueux dans lequel rêvent de s'inscrire les français. Ils en sont encore loin, même si l'intention y est. Renault peine à standardiser la production de ses véhicules avec ceux de Nissan, et PSA démarre seulement avec son nouvel allié General Motors censé lui apporter la taille.
Pour s'extirper de ce guêpier, il faudra plus qu'une bonne voiture à PSA, comme cette 205 miraculeuse qui l'a sorti de l'ornière en 1983. Il faudra de la constance et du temps, un actionnaire patient et audacieux et des politiques compréhensifs.
Par Philippe Escande