L'usage des drones : un danger pour l'Afghanistan ?
Le Monde.fr
Posté le: 31 juillet 2012
Dans un éditorial paru au début du mois de juillet, le Guardian de Londres remet en question les normes, ou leur manque, selon lesquelles on met les gens sur des soi-disant listes de terroristes, et a ajouté que quiconque dans les zones ciblées est "en âge de combattre, est devenue un critère à titre posthume pour être considéré comme un terroriste".
L'objectif de ces attaques comme un outil essentiel de la stratégie militaire soulève un certain nombre de questions importantes, à la fois morales et juridiques. Mais, en dehors de cela, la question fondamentale, qui reste sans réponse, est de savoir à quel point l'utilisation effrénée d'une telle force a été efficace comme un outil anti-terroriste.
De nombreux spécialistes indépendants qui étudient le problème sont convaincus que même si la stratégie a en effet réussi à éliminer certains figures terroristes, elle a pratiquement toujours produit un nombre croissant de recrues pour les groupes militants et terroristes, dont certains habitent même les zones peuplées et des villes.
Faut-il donc comprendre que les frappes de drones pourraient désormais cibler des zones densément peuplées, élargissant dangereusement le théâtre de guerre, ou que le conflit pourrait-être autorisé à s'éterniser indéfiniment ?
Le programme des drones reste également problématique pour d'autres raisons, et le défendre devient un cauchemar au niveau international, compte tenu de ses implications négatives pour les normes juridiques établies, et la souveraineté des États. Il mine évidemment tous les droits d'un État à se proclamer défenseur des droits de l'homme, et les valeurs qui sont consacrées dans la Charte des Nations Unies.
Selon des rapports crédibles dans les médias, des milliers de personnes peuvent être "légalement" la cible d'attaques de drones, y compris non seulement les dirigeants et les agents supérieurs, mais aussi des particuliers qui possèdent des "compétences opérationnelles uniques".
Le problème avec cette définition extensible ou large des objectifs, c'est qu'elle nie complètement toute interprétation classique des lois de la guerre, qui, invariablement, soulignent que ceux qui ne font pas partie d'une force armée ont droit à la protection contre toute attaque délibérée.
Le pragmatisme voudrait qu'on ne permette pas que de telles considérations valides et morales, éthiques et juridiques, soient remplacées par la politique électorale ou des exigences politiques domestiques, ce qui nécessite parfois un bellicisme injustifié de la part des candidats, afin de gagner des voix.
Il reste très controversé et loin d'être clair comment quelqu'un qui a été pris pour cible pourrait être identifié de façon fiable, par exemple, dans les régions tribales du Pakistan, en l'absence de renseignements crédibles (les troupes terrestres américaines étant absentes) et le manque de preuves médicolégales.
À un niveau plus pratique, la stratégie des drones va sans aucun doute contribuer à poursuivre la radicalisation de la population de la région, une conséquence qui pourrait facilement durer au-delà du retrait des forces de l'OTAN de l'Afghanistan en 2014.
La question qu'il convient de se poser dans ce contexte est de savoir si une telle politique est conforme aux objectifs communs des pays occidentaux et du Pakistan de garantir l'émergence, au terme de ce retrait, d'un Afghanistan pacifique et stable.
Par S.E. Monsieur Shafkat Saeed, ambassadeur du Pakistan en France