Vous souvenez-vous de l'alerte aux particules ? C'était il y a une semaine. Qui en parle encore ? On tousse et puis on oublie. Pas moi. Cette brume grise qui noircissait nos cols de chemise, essoufflait nos vieux, interdisait le sport à nos gosses et nous refilera le cancer, je l'ai vécue comme une affaire personnelle. C'était la démonstration que j'aurais mieux fait d'être grand reporter au journal de Mickey.
Il y a 25 ans tout rond, une de mes premières enquêtes au mensuel Auto Moto [NDLR : Jean Savary est ensuite devenu rédacteur en chef d'Auto Moto], c'était la pollution automobile. Elle allait devenir une de mes spécialités, et avec la sécurité routière, m'aider à devenir le mouton noir de la presse auto. En France, en 1989, il n'était pas (encore) à la mode de dire que la bagnole tue et pollue. A l'époque, le diesel, à peine 30 % des ventes, était le moteur propre qui rejette très peu de monoxyde de carbone (C0) et d'hydrocarbures imbrûlés et pas de plomb, trois cochonneries que les moteurs à essence crachaient en abondance. Il y avait bien un doute sur les particules, mais personne ne parlait des oxydes d'azote (NOx). La pollution, c'était le super et l'ordinaire, pas le "gasoil". Je n'étais pas peu fier d'être parmi les premiers à sonner l'alerte. Gros malin !
Puis est venu le pot catalytique et de normes Euro 1 en Euro 2 et Euro 3, le moteur à essence est devenu propre. Je me souviens qu'un ingénieur motoriste de chez Saab m'avait assuré que l'air qui sortait du cata de sa 900 était plus pur que celui qui entrait dans son filtre à air. Comme je ricanais (le journaliste people cancane, le journaliste moto bécane et le journaliste auto ricane), le grand blond a précisé d'un ton sec : "Je parle de l'air de la France, à cause de vos satanés diesels". Et il a levé son verre d'aquavit "Skâl !" : A votre santé !
Notre santé, elle n'allait pas s'améliorer. Au mitan des années 90, alors que le véhicule à essence s'était si bien dépollué qu'on ne parvenait plus à se suicider en s'enfermant moteur au ralenti dans son garage, l'automobiliste français se prit de passion pour le diesel. Sa part de marché grimpa à 50 %. Il faut reconnaître que ses performances avaient fait un bond grâce à l'injection directe. Sa dangerosité aussi. C'est que des ingénieurs allemands avaient inventé le pot d'oxydation, le catalyseur du diesel, une monstruosité sanitaire qui, sous prétexte de réduire la masse de particules - norme oblige- ne faisait que les pulvériser et en faire des particules ultrafines, les fameuses PM 10 et PM 2,5 dont on nous cause dans le poste. Contrairement à la grosse poussière de suie que nos sinus et nos bronches savent arrêter et rejeter, ces nano-saloperies vont se fourrer dans nos alvéoles pulmonaires où elles s'accumulent et passent dans le sang. Et après ? Je ne sais pas, mais c'est quand même bizarre cette augmentation du nombre de cancers. Ce véritable four à fumée produit en prime des NOx. Le tout est bien plus toxique que les grosses fumées noires et le brave monoxyde d'azote (NO) du diesel Indenor de la 504 à Papa. Déjà vingt ans que l'on respire ça. Et le filtre à particules n'a pas fait de miracles : beaucoup moins de particules certes, mais encore plus fines, et encore plus de Nox.
Tout cela a été écrit en temps et en heure. Des télés, des radios nous ont cités, le Monde nous a repris. Personne n'a envoyé de droit de réponse. Nul aujourd'hui ne peut dire "Ah ben, désolé, on ne savait pas". Bref, normalement, il n'y aurait pas dû avoir un pic de pollution sur le Nord de la France la semaine dernière, je m'en étais personnellement chargé avec mes petits doigts sur un clavier. On a de ces vanités…
Déprimé ? Oui, un peu. Quand je quittai Auto Moto, le diesel pointait aux trois quarts des ventes de voitures neuves et avait débordé du capot des familiales dans celui des citadines pour envahir les centres-villes. Et le pic de pollution est devenu un marronnier de la presse. La faute à qui ? A tout le monde. Aux politiciens, pourtant les premiers informés du risque sanitaire, mais pas assez sévèrement, euh… courageux pour mettre le gazole au prix de l'essence ou l'inverse. Aux constructeurs qui tous les quatre ans nous juraient, main droite sur le portefeuille, que ce coup-ci, ça y était, leur diesel était propre. La faute aux écolos qui ont favorisé le diesel au nom de la lutte contre l'effet de serre et préféré réduire les émissions de CO2 mondiales de 0,0008 % que protéger nos pauvres poumons. La faute à nous tous qui avons profité de l'aubaine de ces dCi, TDI, HDI et autres D pour consommer 15 % de moins. Tout en chougnant que le plaisir de conduire se perd et que le gazole a augmenté de 10 %… Et que bien sûr, la pollution, c'est la faute aux feux de bois, aux centrales électriques allemandes, à l'épandage d'engrais, aux freins du métro et au barbecue du voisin. Pas complètement faux, mais pas vrai non plus. Ma faute à moi qui n'aura brassé qu'un peu de vent, beaucoup de papier et fait essayer beaucoup de diesel, "parce que, coco, c'est ça que les gens veulent acheter !"
Le meilleur pour la fin ? A force d'être menacé de surtaxe et d'interdiction de centre-ville, l'automobiliste commence à se détourner du diesel, passé en deux ans de 75 à 67 % des ventes. C'est ballot, le D est "peut-être" –on m'a fait le coup trois ou quatre fois- en train de devenir propre (et encore plus sobre) grâce au catalyseur "denox" imposé par la dernière norme Euro 6. Et forcément, c'est le moment que choisit le gouvernement pour ressortir du tiroir la taxe sur le gazole qu'on nous promet depuis Lionel Jospin. Et vous savez ce qui est encore plus ballot ? Le nouveau moteur essence, cette jolie petite chose "downsizée" que l'on s'arrache désormais, n'est pas si "clean" qu'on nous le raconte. Avec l'injection directe et le turbo, il en crache lui aussi de la PM 2,5 et des NOx, et pas qu'un peu. Quand j'ai lu cela, devinez quoi : ça ne m'a même pas étonné.