Port autonome d’Abidjan: Terminal à conteneurs ou enjeu de gros intérêts
Fraternité Matin
Posté le: 13 juin 2013
La presse s’en fait l’écho depuis quelques jours.
L’attribution du deuxième terminal à conteneurs à un opérateur, déjà exploitant du premier sur la plateforme portuaire d’Abidjan, fait jaser en ce moment.
Au centre du débat, de gros enjeux économiques et financiers, à la fois pour la Côte d’Ivoire à travers la perception de redevances escomptées par l’État, la mise à niveau croissante aux plans technique et technologique du Port d’Abidjan qui ambitionne d’être l’un des plus performants du continent africain, et enfin, l’accumulation supposée par un seul opérateur – le groupe français Bolloré – de la quasi-totalité du trafic portuaire ivoirien. Sujet d’intérêt stratégique que voici !
Car le Président Alassane Ouattara, son Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, le porte-parole du gouvernement, Bruno Koné, n’ont pas manqué d’élever la voix pour assurer l’opinion nationale et internationale de la prise en compte effective par l’Etat de l’intérêt du pays mais aussi de la qualité de l’offre financière qui a fondé l’attribution de ce marché à l’opérateur Bolloré.
Répondant, récemment, au panafricain Jeune Afrique qui voulait savoir pourquoi c’est « …encore Vincent Bolloré qui a remporté l’appel d’offres pour le nouveau terminal à conteneurs d’Abidjan, alors qu’il était question d’ouvrir ce marché à la concurrence ? », le Chef de l’État ivoirien a dit ce qui suit : «La compétition était ouverte. Le consortium Maerks-Bolloré Bouygues (MBB) l'a remportée parce qu'il a formulé les meilleures offres, sur tous les plans, qu'il s'agisse du droit d'entrée, du prix du tonnage ou de la baisse des tarifs. Ils ont été les meilleurs, c'est aussi simple que cela
». Et de poursuivre, « …Ils répondaient aux critères. Quant à l'offre financière, ils ont pulvérisé les autres. Bien entendu, ces deux éléments sont liés et l'Agence des marchés publics les a choisis, compte tenu de leur offre globale ».
Le Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, abonde dans le même sens lorsqu’il déclare, le 17 avril dernier sur Rfi, que «c’est un appel d’offres ouvert et transparent dans lequel les trois partenaires susmentionnés (Maerks- Bolloré – Bouygues, ndlr) étaient moins bien classés au point de vue de l’offre technique. Mais ils ont fait une offre financière de qualité qui leur a permis, au total, de l’emporter ».
Le dernier conseil des ministres, tenu jeudi dernier, s’est voulu tout aussi clair sur la question. Pour lui, le débat est clos, c’est une décision prise au terme de longues discussions qui ont privilégié l’intérêt de la Côte d’Ivoire. Mais il y a cet autre son de cloche venant d’un autre membre du gouvernement, Jean-Louis Billon, ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des Pme, qui estime que cette nouvelle concession place l’exploitant du terminal dans une position monopolistique.
Ce qui, souligne-t-il, est contre-productif pour le pays. Qu’en est-il exactement ? Nous avons enquêté sur ce dossier « brûlant » qui avait déjà, en 2003/2004, suscité un vif débat, avant l’attribution du premier terminal à conteneurs au groupe Bolloré. Et, qui, neuf ans plus tard, revient au-devant de l’actualité à la faveur de l’enlèvement, par ce même groupe, du
marché du deuxième terminal à conteneurs.
L’histoire du terminal à conteneurs au port d’Abidjan
La création du terminal à conteneurs était apparue nécessaire dans un but stratégique et d’efficacité économique. Il s’agissait d’arriver à confier l'ensemble des opérations à une structure unique. Il ressort de nos investigations que ce projet était sur l’agenda de l’autorité portuaire quand, dans le cadre du Programme d’ajustement structurel du secteur des transports, la Banque mondiale a inscrit la concession des portiques comme une des conditionnalités de décaissement de la tranche flottante de ce programme portant sur un montant de 10 milliards de Fcfa. Ainsi, le Port autonome d’Abidjan, en accord avec l’institution financière, décide de lancer un appel d'offres international pour la sélection d'un opérateur ou groupement d'opérateurs pour l'exploitation et la maintenance des portiques.
Après de nombreux échanges entre le gouvernement ivoirien, la Banque mondiale et le Port autonome d'Abidjan, un appel d'offres en deux phases a été préparé. C’est qu’un appel d'offres pour la phase de pré qualification et d’offres techniques pour la mise en concession de l'exploitation des portiques du terminal à conteneurs de Vridi a été lancé. Mais à la date de clôture desdites offres fixée au 03 janvier 2000, le Port n'a enregistré que le dépôt de deux soumissions : le groupe Bolloré– Saga-Ap Moller Finance, d’un côté et le groupe Egis-Port–Sofremer-Sivom, de l’autre.
Après analyse des offres présentées, la commission d'analyse a conclu qu'aucun groupement ne satisfaisait totalement aux conditions de pré qualification. De fait, l’appel d'offres avait été déclaré infructueux.
Au-delà de la qualité des offres, le contexte politique n’avait pas permis une participation massive des opérateurs, notamment des manutentionnaires.
En effet, les offres devaient être reçues le 3 janvier 2000, soit seulement dix jours après le
changement de régime (coup d’Etat militaire du 24 décembre 1999). En outre, les grands gestionnaires de terminaux du monde ne manifestaient pas d’intérêt pour la gestion des seuls portiques mais plutôt des portiques et du parc. Toutes choses qui vont conduire à une autre orientation entre les différentes parties en présence pour parvenir à la concession du premier terminal à conteneurs de Vridi.
La mise en concession du terminal à conteneurs de Vridi
Après de nouvelles discussions entre la Banque mondiale, le gouvernement ivoirien et le Port autonome d'Abidjan, la décision de la mise en concession de l'ensemble du terminal à conteneurs, y compris les portiques, conformément aux objectifs initiaux des autorités portuaires, a été prise. Mais tout en marquant son accord pour cette dernière approche, l’institution financière va, cependant, exiger l’assistance d’un consultant pour la conduite du processus de cette mise en concession.
Le 15 octobre 2001, l’appel d'offres de pré qualification a donc été lancé. Lequel a fait l’objet de publication dans la presse nationale, internationale, sur le site Web du Paa, auprès de 23 ambassades accréditées en Côte d’Ivoire et 25 opérateurs privés de terminaux à travers le monde.
À la date de clôture des offres, sur un total de huit dossiers retirés, quatre soumissions ont été enregistrées (voir tableau en fond bleu).
Ce sont donc ces quatre soumissionnaires qui avaient été autorisés à concourir pour la phase d’appel d’offres techniques. Compte tenu du retard accusé par le dossier, une seconde prorogation du contrat de l'exploitant actuel du terminal a été faite, portant la fin de
son exploitation à fin 2002.
Avec l’appui du consultant, un projet de dossier d’appel d’offres techniques a été élaboré et transmis à la Banque mondiale. Conformément au chronogramme, son avis de non objection était attendu le 16 mars 2002, au plus tard, mais il n'est parvenu que le 23 avril 2002. En outre, les nombreuses nouvelles conditionnalités imposées à chaque étape du processus par la Banque ont retardé le dossier jusqu’à la crise du 19 septembre 2002 et compromis davantage l’aboutissement du processus d’appel d’offres.
Pour éviter de rater le coche, une stratégie a été adoptée par le gouvernement et les autorités portuaires pour faire face aux pesanteurs de l’institution financière. Et ce, afin de permettre au Port autonome d’Abidjan, d’augmenter ses ressources par l’intermédiaire des activités du terminal à conteneurs. Il s’agit également de créer les conditions de l’accroissement de sa compétitivité pour le hisser au niveau des standards internationaux.
Dans le souci de réduire les manques à gagner enregistrés depuis plusieurs années, le Port, le ministère chargé des Infrastructures et le groupe Bolloré, spécialiste en gestion du parc à conteneurs, s’accordent sur des points que le gouvernement considère comme non négociables.
À savoir, l’amélioration de la capacité technique du Port ivoirien, la reprise du personnel, la consistance du niveau des investissements programmés, la compétitivité des tarifs appliqués, le paiement de la redevance de concession et l’amélioration des performances opérationnelles.
C’est ainsi qu’une convention de concession a été signée, le 23 octobre 2003, avec entrée en vigueur, le 1er mars 2004. Bolloré devient ainsi concessionnaire du premier terminal à conteneurs de Vridi baptisé Société d’exploitation de terminal de Vridi (Setv) dont les résultats sont, avouons-le, édifiants pour l’État et pour le Port d’Abidjan notamment.
Du cas du 2e terminal
La gestion du deuxième terminal qui focalise l’attention ne sera pas l’affaire exclusive de Bolloré. La raison ? Le chef de file du consortium ayant enlevé l’offre et dont fait partie le groupe français s’appelle APM.
Juridiquement parlant, c’est une autre société, qui a la gestion de ce terminal. Toute chose qui, en droit, relativise la position dominante du groupe français décriée ici et là. En tout cas,
les observateurs attendent la délibération de la commission de l’Uemoa qui a été saisie de l’affaire. Certainement que d’autres épisodes de ce film…d’intérêts économiques restent à suivre.
GOORE BI HUÉ