Un steward d'Air France empêché de voler pour avoir refusé d'enlever ses tresses
Le Monde.fr
Posté le: 10 mai 2012
Cela fait dix ans qu'Aboubakar Traoré, steward à Air France, se fait des cheveux à cause de sa coiffure. Il est en conflit avec son employeur depuis qu'il a décidé, en 2002 et trois ans après son embauche, d'arborer des tresses collées sur son crâne. Une coiffure qui ne correspond pas aux normes de la compagnie aérienne : le mémento du personnel naviguant de cabine (PNC) stipule au chapitre 50 que les hommes doivent avoir une "coiffure classique et limitée en volume ; longueur des cheveux limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise". Sa hiérarchie lui enjoint donc de couper ses cheveux, jugés trop longs.
M. Traoré, 37 ans, raccourcit ses cheveux mais garde ses tresses. Il subit des réprimandes : "A chaque vol, je rasais les murs, de peur qu'on me fasse des remarques", se souvient-il, en parlant d'une pression croissante. Il se sent attaqué dans son intégrité : entre août 2005 et mars 2007, le steward est mis en arrêt de travail pour dépression.
"ON NE PEUT PAS DEMANDER À QUELQU'UN DE CONTRARIER SA NATURE INTRINSÈQUE"
Il reprend son travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique. Décidé à trouver un compromis, l'employé a l'idée de porter une perruque - "ridicule" précise-t-il - sous laquelle il dissimule ses tresses. Mais gêné par ce postiche, le steward rencontre sa hiérarchie afin de trouver un compromis. "On ne peut pas demander à quelqu'un de contrarier sa nature intrinsèque, dit-il. Je revendique le droit à la différence et surtout à l'indifférence. Je ne dis pas qu'Air France est raciste, mais elle a des positions ambiguës." La direction lui rétorque qu'il s'agit d'un "faux problème".
Contactée par Le Monde, la compagnie aérienne, qui qualifie ce litige de "regrettable", se défend de toute discrimination. Air France soutient qu'elle est une entreprise "ouverte à la différence". Mais, rappelle la compagnie, tous les personnels, sans distinction, sont tenus de porter l'uniforme pour se conformer à "l'image de marque" de l'entreprise.
En janvier, la perruque d'Aboubakar Traoré se déchire. Il décide d'assurer son service avec ses fameuses tresses. "Sur le coup, Air France n'a pas su réagir, j'ai pu effectuer deux vols." Après ce deuxième vol, son chef de division lui signifie que sa coiffure est inadaptée. L'employé se présente avec trois coiffures différentes devant la compagnie mais aucune n'est acceptée. Depuis, il est affecté à un poste administratif au sol.
"SA COIFFURE EST EXTRÊMEMENT NETTE ET SOIGNÉE"
L'affaire a franchi les murs de l'aéroport, puisqu'en 2009 le steward a demandé l'arbitrage de l'ancienne Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). En avril 2011, l'institution a rendu une délibération. Celle-ci tranche en faveur d'Aboubakar Traoré et juge que les règles établies par Air France "renvoient à un modèle stéréotypé de représentation masculine" et que "s'agissant de M. X, il ressort, au vu des photos transmises le représentant en uniforme, que sa coiffure est extrêmement nette et soignée. Elle ne présente aucun caractère d'excentricité."
Lundi 7 mai, une conciliation organisée entre les deux parties n'a débouché sur aucun accord. Air France estime s'être conformée à la demande de la Halde : en novembre 2011, la compagnie a assoupli et précisé ses directives "pour tenir compte des codes esthétiques actuels". Mais les tresses sont toujours interdites aux hommes.
En janvier, le Défenseur des droits, qui a succédé à la Halde, a clôturé le dossier en demandant à M. Traoré de se conformer au nouveau règlement - ce qu'il n'a pas fait. L'histoire se réglera donc aux prud'hommes : M. Traoré a formé un recours pour "atteinte à la dignité" et "discrimination".
Par Faïza Zerouala